Parcours : Faheim A « On était tellement enfermés dans notre culture en Syrie, qu’on ne pensait même pas qu’une autre pouvait exister »

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Faheim en 2016

 

Etudiant boursier en français langue étrangère, Faheim quitte Alep en 2011 après la révolution pour achever ses études en France. De Bordeaux à Nice ou il trouve un appartement, le syrien subit un véritable choc culturel, loin des siens. Récit d’un garçon qui a accompli ses rêves et à convaincre les siens d’aimer une autre culture.

Grand, brun, le rire contagieux, Faheim n’arrête pas de sourire comme s’il n’avait jamais vécu de périple et comme s’il avait toujours donné cours à ses élèves, sans rebondissements. Pourtant, son voyage vers la France a changé son existence. Aujourd’hui bien intégré en France et locataire d’un appartement à Nice avec l’un de ses frères, le syrien raconte la façon dont il a perçu nos réseaux sociaux et comment il est parvenu à convaincre ses parents de le rejoindre, notamment après avoir trouvé sa vocation.

Une épopée administrative

Le 28 avril 2011, Faheim décide de quitter la Syrie et les étudiants à qui il donne des cours de français, à l’université locale d’Alep. Mais son rêve tarde à se réaliser car les procédures administratives prennent du temps. Aussi, Faheim n’est pas un citoyen comme les autres ; son profil intrigue les autorités. Un professeur pouvant être considéré comme un guide, un « fomenteur de révolution » parmi les jeunes esprits, il fait rapidement l’objet « étude de sécurité nationale ».

Déjà arrêté pour avoir tenu un discours novateur et « contre l’opinion publique », le jeune homme est sujet à un long questionnement de la part des autorités, qui le forcent à parler de son intimité et de la religion qu’il pratique.

« La création de mon dossier a pris un an. J’ai du aller à Alep et Damas pour obtenir des papiers. Les autorités ont vérifié mon casier judiciaire, m’ont demandé des photos, de quelle religion j’étais aussi et puis, ce que je pensais…»

Subissant une menace constante, conscient que son directeur ou ses élèves peuvent à tout moment le signaler aux autorités, Faheim réalise qu’il doit aller jusqu’au bout de son projet et explique alors vouloir quitter le territoire afin de « diffuser notre culture en France, comme un messager ». Un discours qui finira par convaincre et qui lui permettra d’obtenir son laisser-passer. A Bordeaux, il obtiendra un master de droit et étudiera encore le français, avant de trouver un appartement à Nice.

 Les rêves se dessinent

Après 4 ans d’espoir les rêves se dessinent mais la route est encore longue car Faheim met plus de deux mois pour s’intégrer. Et le premier choc culturel se fait dans les rues. Il parle alors de la France comme d’une planète : « On était tellement enfermés dans notre culture qu’on ne pensait même pas qu’une autre pouvait exister. » Pourquoi ? Parce qu’en Syrie, « on porte un uniforme dès 7 ans et doit donner son sang pour le président. La vie militaire était partout, même dans les mosquées ! Et puis, les gens se font laver le cerveau par le parcours national ».

Lorsqu’il se connecte aux réseaux sociaux, c’est la liberté du clic. Facebook n’est plus censuré, on s’y sent libre d’exister, de publier et d’aborder qui l’on veut ; surtout les femmes. Mais sa pudeur l’empêche de faire le premier pas.

Des réseaux sociaux impudiques en France

La réalité virtuelle l’intrigue. Selon lui, les internautes ont même « trop de libertés ». « Ici, les gens sont plus ouverts. Peut-être un peu trop, si on regarde ce qui se dit sur les réseaux sociaux, quant au respect des internautes. Et pour les femmes, c’est particulier».
Lui qui a grandi dans une famille de 14 membres et avec 7 sœurs, connaît bien ce malaise. Il nous mettra même dans la confidence, relatant: « la vie sexuelle française me surprend. Les syriens sont trop extrêmes. Quant il s’agit de trouver une femme, le pays a des opinions très fermées. La femme est considérée comme mauvaise. En France, à l’inverse, les hommes prennent trop de libertés. Le respect envers elle est vraiment limite ! Moi, J’ai toujours du mal à parler aux femmes. » Il apprendra petit à petit à se faire confiance. Quant à sa relation avec ses parents restés au pays, l’écart se creuse comme un vortex. Il s’intègre ici, mais trahit son là-bas.

Difficile de couper les ponts

Skype, le téléphone, il n’a que ces deux outils pour prendre des nouvelles de ses proches. Et si au moment de cette (seconde) interview Faheim a persuadé ses parents de le rejoindre, ayant formulé une demande d’asile pour eux, ils ont tardé à accepter cette idée « Maintenant qu’ils ont vu tout ce que je faisais en France, ils ont confiance. Ils ont vu que ça n’avait rien à voir avec les images de la télé. Pour eux, je représente la France, je crois qu’ils sont prêts. »

A l’hiver dernier, malgré de nombreux départs de ses frères et sœurs vers le Danemark, la Jordanie, la Turquie ou l’Allemagne, ni la père ni le père ne voulaient quitter la Syrie. Faheim s’en expliquait d’ailleurs la gorgée nouée. « Partir est une trahison pour tous les arabes musulmans. Ne pas participer à la guerre, aussi. J’ai trahi ma culture mais je n’avais pas le choix. Je risque la mort si je reviens sur mes pas. Mais à 40 ans, je pense qu’il est trop tard de partir. Pour apprendre la langue, l’emploi et pour le reste. »

Marqué par l’absence, il est pendant un certain victime de nuits difficiles. « J’ai été malade de stress. Quand je les appelle j’entends le ronronnement des avions au travers du téléphone. Pour mon frère, arrivé dans un canot rempli de 600 migrants, c’est pire. Il est ici mais dans sa tête, il est là-bas. ». Partagé entre l’angoisse et l’accalmie, l’aventurier cumule divers emplois pour se faire une place dans la société. Il est professeur de jour et agent d’accueil en résidence étudiante le soir. Enfin, après plusieurs années d’espoir, ses projets aboutissent. Aujourd’hui, il se sent français et dit : « Je suis fier de payer mes impôts. »

 En phase d’obtenir sa nationalité française, le syrien est aujourd’hui très engagé auprès des étrangers. « Je veux les aider avec de la force physique et pas juste avec des mots ». Et son combat est intense car en plus de travailler avec Amnesty Nice, avec l’ UFCM ainsi qu’avec Pôle emploi, Faheim enseigne. Il a réalisé son rêve et c’est le plus important : « Donner des cours en français à des français, jamais ne n’aurai imaginé ça ! »

Valentine Puaux 

 

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